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Bien entendu que c'est un peu facile (et même très exagéré) de traiter de « fachos » (sic !) ceux qui ne font que défendre de quoi vivre. On peut comprendre aussi que parmi les plus sincères il y en aient qui ressentent comme une réelle injustice l'outrage qui leur est ainsi fait par ces formules lapidaires qu'on ne peut appuyer sur rien dans leurs propres démarches idéologiques et personnelles.
 
Seulement voilà. Il faut se poser, face aux foules qui se lancent dans l'action, ce qui prévaut comme mots d'ordres et comme actions principales, fondatrices, essentielles.
 
Il y a des constantes dans la venue (et dans le maintien) au pouvoir des forces ultra-réactionnaires ultra-musclées capables de détruire toute opposition et, surtout, les populations les plus démunies, les plus marginalisées, les plus stigmatisées, les plus isolées.
 

Fussli : Le Cauchemar, 1881

« Le sommeil de la raison engendre des monstres » (Goya)
Car oui, impossible de l'ignorer, et ça mérite que ça prenne sa place avant toute prise de partie de notre part, le faschisme s'est d'abord implanté, historiquement (et rapidement, c'est-à-dire en deux ou trois ans) sur cette grande masse de déshérités que la société elle-même aura eu fabriquée, au préalable. Oui, la société étatisée, sa propagande depuis l'école jusqu'aux medias, ses banques, ses industries. C'est bel et bien l'État qui aura eu fabriqué la bête immonde, comme on dit symboliquement, c'est l'État qui arque-boute avant tout son organisation administrative entière, ses techniques de surveillance et de contrôle des personnes, son système répressif, de délations, dénonciations, expulsions, persécutions policières, ses instituions judiciaires, carcérales et pénitentiaires, ses exclusions, ses marginalisations, ses stigmatisations, ses ségrégations...
Et c'est cette même administration terriblement efficace (et ô combien aigrie) qui va devenir ensuite l'outil des pouvoirs autoritaires contre les populations traditionnellement les plus démunies et fortement menacées dans leur intégrité, dans leur dignité, dans leur humanité. Eux, ils sont hors monde de l'humanité dominante. Ils sont déshumanisés.
 
 

Goya : Le sommeil de la Raison engendre des monstres, 1799

 
La réalité HISTORIQUE du faschisme (pour s'en convaincre, il suffit de revoir en détail l'histoire de la première moitié du XXe s. en Italie, en Allemagne, en Espagne, en France, en Grèce, au Japon...) c'est qu'elle s'est toujours installée en deux temps, trois mouvements, toujours, toujours, toujours..
– premier temps, premier mouvement : l'esbroufe des gouvernements. Un pouvoir d'État affaibli par son manque de légitimité (et tout le monde peut constater que c'est bien le cas dans nos pays, surtout le nôtre depuis 2002 avec nos présidents élus avec à peine 20 % de votants compte non tenu d'un très fort taux d'abstentions) essaie de se maintenir par la force avec des mesures de plus en plus impopulaires qui font éclater plusieurs foyers de colères qui grossiront jusqu'à la révolte de masse.
 
Le réveil en masse des idiots utiles
– deuxième temps, deuxième mouvement : la révolte de masse. Ces mesures d'austérités et d'injustice ont fait monter la colère des populations de plus en plus déclassées, mais valides, et c'est leur déclassement qui stimule leurs arguments et la rage qui les anime à juste titre (ce sont les personnes salariées et les retraitées qui perdent le plus, qui s'inquiètent le plus, mais qui restent en même temps les plus mobilisées, les mieux organisées, solidaires, informées, réactives rapidement. Les autres couches de la population sont encore et toujours trop rejetées, oubliées, ignorées, pour pouvoir se raccrocher (ou être invitées) à des mouvements de protestations et encore moins pour pouvoir participer à des rassemblements de masse, des marches, des assauts sur des lieux de pouvoirs, etc.
Car hors de ces couches moyennes déclassées ou en voie de l'être, affectées par leur train de vie réduit, à côté de ceux et de celles qui « ne veulent pas payer pour les autres », il y a toujours les éternels oubliées de l'histoire, les exclu.e.s, et ce sont, ce seront toujours encore de nos jours les mêmes oubliés de nos revendications pour l'égalité des droits : les gitans/les roms, les étrangers/les sans papiers, mais aussi, toutes classes et origines confondues, les femmes et les enfants, les vieillards, les handicapé.e.s, les invalides, bref, les personnes hors du modèle de production et de consommation de masse...
 

Peter Brueghel l'Ancien : La Parabole des Aveugles, 1598

 
– troisième mouvement : la prise du pouvoir, sans aucun délai de temps, immédiat, rapide, imparable. Tout d'un coup, les digues sautent, les barrages cèdent (on l'a vu ces toutes dernières années, en Tunisie, en Égypte, et on le voit en direct au Brésil, comme on l'a vu en Italie ces mois derniers), et le pouvoir passe aux mains des « représentants » du peuple, souvent de sacrées canailles (sacrées, parce qu'intouchables, inaccessibles, inabordables) entourées d'un service d'ordre particulièrement musclé autorisé à descendre sur place faire taire les oppositions, les récalcitrants et les tendances, au besoin par la casse et par la terreur).
Et (« le fruit est mûr », disait Lénine en 1917) le pouvoir, déjà répressif peut donc passer alors aux mains d'autres autocrates, au moins aussi terribles, qui vont utiliser tout l'appareil de répression déjà en place : on l'a vu en 1970 en Syrie avec Hafez, père de Bachar El Assad, on l'a vu en Iran, en 1977 avec l'arrivée de l'imam Khomeini. Et qu'on n'aille pas clamer qu'on serait différents, meilleurs, ou plus civilisés, cette faculté de se croire au-dessus des autres populations est le ciment de notre propre enfermement.
 
 
La résistible ascension
Ces leçons quasi brechtiennes par leur prise de distance valent bien sans doute qu'on crie « Jamais plus ça ! » et autres « No pasaran ! », paroles, paroles !  quand on laisse passer en réalité ce que ne nous apprennent ni nos manuels scolaires ni les medias, au filtre d'une dérisoire expérience que trop peu prennent en considération, hélas, pour pouvoir éviter le pire. Quand on laisse passer la bête immonde. Il sera difficile de prétendre qu'on ne savait pas.
 

David B : L'Ascension du Haut Mal, 2014

 
Si aujourd'hui les Gilets jaunes s'en prenaient aux lois scélérates qui divisent les peuples et les populations toujours stigmatisées (roms, "migrant.e.s", prisonniers, zadistes, anti-nucléaires de Bure, Faucheurs volontaires, Casseurs de Pubs, etc.), bref, si les Gilets Jaunes agissaient pour une gouvernance ouverte et accueillante avec les pays hors espace Schengen, on pourrait leur faire confiance.
Mais ce n'est pas le cas. Au pire, ils dénoncent les camions de réfugié.e.s, au mieux, ils demandent des « referendums » aux côtés d'un gars aussi douteux qu'Étienne Chouard.
Nous tirons les leçons de l'histoire.
 
Les articles majoritairement appréciés pour leur ton iconoclaste et de gauche comme ceux de Là-bas si j'y suis, de Mermet; en restent malheureusement toujours au premier temps-premier mouvement (relire son analyse du Brexit). Celui du constat de l'injustice sociale. Ils se gardent bien de rendre compte de l'entièreté du phénomène qui nous menace et pour lequel on est légitimement en droit d'éprouver la plus extrême méfiance au nom de l'histoire, au nom des nôtres, au nom des libertés individuelles qui vont nous être enlevées, au nom des populations stigmatisées qui seront davantage encore éliminées physiquement. Sans un mot de protestation.
 
Jean-Jacques M’µ
Le 1er décembre 2018
 
Tag(s) : #Néo-fachisme, #Gilets Jaunes marche-pied pour l'extrême-droite, #Étienne Chouard
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